- Le décor dans la pénombre est engageant, dans une
ambiance loft new-yorkais aux influences années 60, de nos jours. Trois
grands cadres de tailles différentes à moulures dorées
sont accrochés en haut d'un mur noir, qu'ils encadre. Au bas de
celui-ci, des instruments de musique. Meublant la pièce, un vieux fauteuil, un micro.
- Un homme assez grand, un peu
voûté, une gueule et des yeux bleus, nous parle de son enfance. Et nous dit s'appeler Riton,
ce qu'il déplore, préférant le prénom d'Henri qui est le sien, qui lui va
mieux tout de même.
-
- C'est au violon qu'il commence,
instrument représentatif de la culture de sa famille. Ce qu'il raconte est
ponctué de belles musiques composées ou existantes. Au piano joué par
Philippe Orivel co-interprète, dans un coin le long du mur
faisant partie du décor aux allures cinématographique. D'une belle
voix, celle du comédien, comme dans une comédie musicale, en solo, en
choeur avec le piano ou s'accompagnant à la guitare. Des musiques et
chansons sur des disques prennent en force, d'abord le pas sur le piano, avant de lui
restituer sa place ininterrompue, tel le fil conducteur de
l'histoire, fil de la vie tranquille ou en colère. La qualité
musicale et sonore des compositions est enthousiasmante, on aimerait en entendre plus, pouvoir être
emporté par cette musique qui reste ponctuelle mais présente ainsi, tout au
long de la pièce.
-
- Le récit est un hommage au
père du comédien, Marcel Liebman, intellectuel, militant de gauche, juif pro-palestinien,
dans les années 70. Des information filmées d'archives, viennent s'inscrire sur
les tableaux au mur. A la télévision en noir et blanc, crépitante de
milles lumières avant de s'allumer, passe le penseur et philosophe Marcel Liebman
interviewé lors d'une émission. Barbu, comme on l'était à l'époque, à
lunettes ray-ban, un homme apparemment sérieux, paisible et
intellectuel, dit ses espoirs et ses souhaits pour le monde à venir. C'est un homme juif, qui
prône la paix et la vie en harmonie avec ses frères de toujours, les
Palestiniens en Israël, deux peuples qui ont grandis ensemble pendant
des millénaires, partageant la même terre. C'est dans ce climat qu'a
vécu Riton Liebman, Un climat de militantisme, de luttes en mai 68 et
sa Révolution victorieuse et enthousiaste, pour plus d'égalité, tandis
que lui, ado amateur de discothèques, avait des préoccupations plus
hédonistes et dilettantes.
-
- Son fils de quinze ans
aujourd'hui, fait du rap, cite volontiers son grand père, professeur
d'études politiques et sociales, concerné, par
sa façon ouverte de voir les choses, prônant la tolérance dans le
souci de voir la paix s'établir entre les gens, qui à été solidaire du
peuple Palestinien dessaisi de ses terres, homme devenu à gauche par
conviction, au contact de sa femme, et qui apprenait à ses étudiants à
défendre les faibles devant le pouvoir. Le petit fils n'a pas connu le racisme
étonnant contre son parent, au discours en contradiction avec certains de
ses pairs radicaux; d'une droite évanouie lors de l'ère
socialiste qui à suivie dans les années 80, qui réapparaît sous la
forme de l'extrême droite aujourd'hui. Le petit fils admire les idées
de ce professeur, encore étudié aujourd'hui, pour celles-ci .
-
- Marcel Liebman a trop tôt
disparu, d'un cancer. Sa famille a reçu des menaces de mort pour ses
opinions pacifistes. Admiré, il dérangeait aussi, notamment ceux qui
font leur lit des guerres, des profits qu'elle apporte.
Son cancer a-t-il été provoqué ? Ceci n'est ni dit ni évoqué dans la
pièce, mais il apparaît comme une curieuse circonstance
malencontreuse, qu'un tel homme, disparaisse si jeune. Henri décrit
son père, en homme au caractère positif, aussi père soucieux devant la maladie, de ne pas
effrayer son garçon.
-
- Riton Liebman, comédien, metteur
en scène, musicien, écrivain, délibérément touche à tout, dans un même
domaine de création, s'interroge sur cet héritage qu'il n'a pas
porté à son tour, dont il n'a pas prolongé la quête, faute peut-être
d'avoir vécu dans le pays de ses origines, la situation d'exilé,
l'occupation d'avant-guerre. Dans une époque, où l'aspiration du
changement pour le bien ne motive plus, désabusé de tout. Et surtout
conduit, à se centrer sur soi-même et son propre profit, favorisant
haine entre les gens, acceptation du pouvoir en place, sans lutte
commune au profit de la démocratie et du partage. En scène, il décrit
sa famille, leur vie chaleureuse et gaie, l'Université Libre de
Bruxelles où enseignait son père, des souvenirs de manifs, où gamin,
son père l'emmenait avec ses étudiants. Riton se déclare buveur de
bières, drogué à une époque, qui n'a pas les qualités de son père, et
n'est pas un père exceptionnel pour son fils.
-
- Tout ceci pour dire que la
pièce porte sur des sujets intéressants. Dans des mises en décor, en
scène, et en musique, choisies de façon heureuse, chaleureuse et
moderne. Nous faisant osciller par la lumière et des effets, d'un loft à
un piano bar, à
une discothèque avec fumigènes colorés et feutrés. Par l'évocation des
disques vinyles entendus, on peut se souvenir de ces vrais morceaux de
musiques qu'on regardait tourner et avancer dans les sillons, dont
on écoutait et réécoutait chacun, rendant hommage au travail de
l'auteur qui avait construit chaque titre pour qu'il soit une oeuvre
individuelle achetée comme telle. Les images télévisées, à la suite d'éclairs lumineux figurant l'allumage d'un écran
cathodique, ou le générique d'un feuilleton de l'époque parlant d'une
fée, font revivre le temps passé, tandis que les visages, s'inscrivent
dans les cadres de musés accrochés au mur. Des informations présentées
d'une façon magique, comme elles pouvaient être perçues, seules images
animées d'autres lieux que le sien, plus accessibles que le cinéma. Les
évocations clés de l'époque, marquent le contexte de la pièce. Du temps où régnait un esprit
d'allégresse, d'espoir de vie meilleure et de soucis derrière soi. Tous
ensemble, sans que soit un cliché, parce que ce n'était pas qu'un mot,
mais la vie même. En osmose et relativement facile, avec du travail
foisonnant et des aspirations dans laquelle l'argent ne primait pas.
Des évocations agréables à revivre pour les gens de cette génération,
celle d'Henri Liebman, de cette époque où on n'hésitait pas à
critiquer l'établi, où la parole était libre, pour contrer, avec des
arguments. Peut être une voie de repères pour les plus jeunes. L'état actuel, de la société,
n'est pas un échec de ces valeurs. Mais un oubli de celles-ci.